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Le Mexique, les narcos et le cinéma primé à Cannes

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Les Mexicains sont très ambivalents à l’égard de films comme Heli, d’Amat Escalante, qui vient de remporter le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes. D’une part, il y a la fierté de voir le cinéma mexicain reconnu sur la Croisette, sans doute la principale compétition du septième art.

D’autre part, il y a un malaise à propos de l’explosion de violence, évoquée dans ce film, qui ternit l’image du Mexique auprès de l’opinion mondiale.

Du côté gouvernemental et diplomatique, ce malaise se mue carrément en gêne, comme si les médias étaient responsables de la mauvaise réputation des Mexicains à l’étranger.

Cette ambivalence n’est pas nouvelle. Los Olvidados de Luis Buñuel reçut également le Prix de la mise en scène à Cannes, en 1951.

Le film était déjà sorti à Mexico, avec un accueil glacial de la part de l’establishment et d’une partie de l’intelligentzia, qui s’insurgea contre cet « Espangouin » qui osait critiquer son pays d’accueil.

Dans Los Olvidados, le cinéaste surréaliste décrivait sans fard la jeunesse désœuvrée et cruelle des bidonvilles de Mexico. Buñuel et son producteur, Oscar Dancigers, s’attendaient à des difficultés, malgré l’approbation du scénario (au Mexique, la censure préalable des scénarios, avant l’autorisation de tournage, était en vigueur). Pour cette raison, deux fins différentes avaient même été tournées…

A Cannes, le poète et essayiste mexicain Octavio Paz prit la défense de Buñuel et distribua des tracts lors de la projection, avec un texte mémorable.

Lorsque Los Olvidados figura au palmarès, les bien-pensants de Mexico virèrent leur cuti et se joignirent au camp des défenseurs de Buñuel. Le film eut droit à une seconde carrière dans les salles mexicaines.

A l’époque, les studios mexicains étaient imprégnés du nationalisme incarné par le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), au pouvoir depuis la fin des déchirements entre caudillos de la révolution mexicaine. Les films du réalisateur Emilio « El Indio » Fernandez, dont Maria Candelaria fut primé à Cannes en 1946, représentaient parfaitement l’idéologie édifiante du PRI.

L’Etat finançait déjà à cette époque le cinéma mexicain. Aujourd’hui, malgré l’Accord de libre échange nord-américain (Alena, 1994), le financement public des films reste important au Mexique. Sans l'aide de l'Etat, le cinéma d'auteur n'existerai pas. Comme quoi l’exception culturelle n’est pas une exclusivité française.

Cependant, les autorités mexicaines préféreraient que les violences soient moins présentes sur le grand écran, comme dans les médias. Il est vrai qu’une partie de la culture populaire, surtout la culture de la frontière nord, est d’une complaisance inouïe à l’égard des narco-trafiquants. C’est notamment le cas de la chanson, avec ses « narco corridos » à la gloire des chefs des cartels.

Par analogie, on parle de « narco cine » à propos de certains films de pauvre facture, parfois vendus uniquement en DVD. Exemple, El Pozolero de Juan Manuel Romero (2010), portrait du criminel qui a dissous 300 cadavres dans l’acide pour le compte d’un cartel de la drogue. Ou encore, Narcofosas, de Miguel Marte (2007), sur les charniers des gangs.

Toutefois, il serait injuste de faire l’amalgame entre ces « narco peliculas » opportunistes et les films dotés de sensibilité sociale et d’ambition artistique. Outre Heli, Cannes 2013 a primé aussi les interprètes de La jaula de oro de Diego Quemada Diez, présenté dans la section Un certain regard.

En 2012, Miss Bala de Gerardo Naranjo avait eu droit à une sortie en France, avait un bon accueil critique et un succès public mitigé. On peut avoir une préférence pour El Infierno (2010) d’un réalisateur expérimenté, Luis Estrada, qui n’a pas trouvé de distributeur français. Dommage, car cette satire politique très percutante  montre que le cinéma réussit à séduire le spectateur pendant la projection, sans l’empêcher pour autant de prendre la bonne distance et de réfléchir. Les Mexicains auraient tort de reprocher à leurs cinéastes de scruter la réalité qui les hante.


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